Le baton fatigué.

Cet homme-là était riche et tenait à ce que tout le monde le sache. Il s’habillait comme une figurine de mode et se déplaçait dans une carriole bariolée, tirée par un beau cheval pommelé.

Ce jour-la il parcourait la contrée dans le seul but de se faire admirer. Tout aux griseries de la vitesse, l’homme vit sur le chemin un paysan qui ne semblait pas vouloir s’écarter. Agacé par cet intrus qui allait ralentir son allure, le bellâtre sentit monter la colère en lui.

L’obstacle n’était autre que Pacala le malicieux. A la vue de cet équipage insolite, il eut l’idée de jouer à ce prétentieux l’un de ses tours favoris. Il se planta au milieu du chemin, s’appuya sur son bâton de marche et resta aussi immobile qu’une statue. L’homme dû faire stopper son attelage et apostropha cet intrus:

– Ôte-toi de mon chemin, bouseux mal dégrossi ! Que fais-tu planté la comme une souche ?

– Tu le vois bien ce que je fais ! Je tiens ce bâton pour qu’il se repose du long chemin qu’il a parcouru depuis ce matin !

Le riche parvenu n’en crut pas ses oreilles, Ce rustre avait-il l’intention de se moquer de lui avec son bâton fatigué ? Il allait voir à qui il avait affaire:

– Sors de ma route et vivement ! Avant que mon fouet ne t’y aide !

Joignant le geste a la parole, il fit siffler un long fouet de postillon. Pacala, nullement impressionné et plus que jamais décidé à rire aux dépends de ce hâbleur, répliqua :

– Tu n’as donc pas pitié d’un pauvre bâton accablé de fatigue ! Laisse le souffler un moment, tu as bien le temps d’arriver là où tu vas !

Se pinçant le nez pour être sur de ne pas rêver, l’homme tenta de dissiper la brume qui commençait à envahir son cerveau. Il changea d’attitude:

– Tu es sans doute un simple d’esprit, a-t-on jamais entendu parler de la fatigue d’un bâton ? Cela ne se peut pas !

Notre farceur, adoptant un ton sentencieux répliqua :

– Pour un bâton ordinaire je te l’accorde ! Cela ne s’est jamais vu ! Mais ce bâton-ci est doué de sentiments, tout comme toi et moi. Cela mérite qu’on le respecte !

– Pour qui te prends-tu pour me retarder ainsi ? Sais-tu bien à qui tu as affaire ?

– A ce que je peux constater, tu dois être un colporteur en broderies et colifichets ! Quant a moi, mon nom est Pacala, pour te servir  !

Le malicieux Pacala accompagna ces derniers mots d’un large salut théâtral.

– Ne serais-tu pas ce fameux acteur qui passe son temps a faire rire le monde ?

– Oh ! J’ignore ce que l’on dit de moi, mais aujourd’hui je ne suis pas en état de faire rire, je n’ai pas emporté mon sac a malices.

– C’est dommage ! J’aime assez à rire !

L’homme se souvint que tout seigneur digne de ce nom se doit d’entretenir un bouffon. Puisqu’il en avait un sous la main, c’était le moment d’en profiter. Il sortit une pièce d’or de son gousset et, la faisant miroiter  au soleil, il dit :

–  Et pour cette jolie pièce d’or, irais-tu le chercher ton sac a malices ?

– J’irais volontiers ! Mais je te l’ai dit, mon bâton est fatigué, je dois le tenir, sinon il va tomber !

– Écoute ! J’ai envie de rire ! Va chercher ton sac et j’ajouterai une pièce !

Jugeant que l’appât était prêt, Pacala fit mine de céder :

– Bon tu as gagné, je vais y aller pour te faire plaisir ! J’ai juste besoin que tu m’aides !

L’opulent voyageur, convaincu de s’être fait obéir grâce à son or décida d’être magnanime avec cet amuseur public:

– Accordé mon brave ! De quoi as-tu besoin  ?

L’heure était venue pour Pacala de porter l’estocade :

– Tiens seulement le bâton bien droit jusqu’à mon retour ! Pour faire plus vite j’emprunte ta carriole ! Quant aux pièces d’or, je te fais confiance, tu me les donneras seulement quand tu auras bien ri !

La nuit allait tomber, quand un paysan qui rentrait des champs s’esclaffa à la vue de cet homme enrubanné tenant un bâton au milieu du chemin.

– Toi aussi tu t’es fait prendre ? Rassure-toi, Pacala en a déjà attrapé bien d’autres avec cette farce !

En s’éloignant, le paysan se réjouit intérieurement en pensant que les farceurs, finalement, quand ils s’en prennent aux puissants, rendent la vie moins triste aux pauvres gens.

Conte de Roumanie.

Adapte par Mario Urbanet.


Publié par : Marinellatchi
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