Extrait de la mère
La vieille revenait de si loin que ses enfants lui avaient acheté le meilleur cercueil possible et le tenaient tout prêt. Mais elle était si résistante qu’elle avait usé deux costumes destinés à son ensevelissement.
La mère en était heureuse. Dans le bourg cette longue vie qui ne voulait pas finir devenait sujet à plaisanterie. Selon la coutume de la contrée, l’aïeule portait, sous sa veste bleue, une casaque rouge, que sa bru lui avait faite pour l’enterrer.
La vieille était parvenue à user la première, à la réduire en loques, si bien qu’incommodée elle avait dû se plaindre à la mère afin d’en obtenir une neuve, qu’elle revêtit joyeusement. Si on lui criait à présent : « Êtes-vous encore de ce monde, bonne vieille? » Elle répondait de sa petite voix flûtée : « Oui, je suis dans mes beaux vêtements mortuaires. Je les use, et qui sait combien j’en userai encore!
Pearl Buck extrait de La Mère
Éditions Le livre de Poche
Vol. n°416. Traduit de l’anglais par Germaine Delamain ; Préface de Louis Gillet