Bourlinguer

[Extrait]

Plutarque a menti, la destruction des capitales antiques est l’œuvre des militaires et l’autodafé des livres dans les temps historiques est le produit de l’officialité, de l’intolérance, de l’intransigeance, du fanatisme; quel que soit le régime ou l’idéologie de l’État moderne qui veut ça, et non de la barbarie. Je regrette l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie et celui de la Tour des  livres à Mexico, ces bouquins me manquent, et pourtant, chaque fois que je pénètre dans une des grandes bibliothèques du monde, à la Nationale à Paris,  au British à Londres, à la Bibliothèque Impériale à Saint-Pétersbourg ou à la Royale à Berlin, à la Carnegie à New York, à la Congress-Library à Washington ou à la Livraria de Don Pedro à Rio de Janeiro, dont on est obligé de tremper le million de volumes deux, trois fois par an dans un bain de paraffine tellement les vers du tropique sont virulents et y font de sinistres ravages, le papier devenu fragile, et la chose imprimée, à force de triturations, j’évoque malgré moi les nécropoles de la Mésopotamie dont j’ai parcouru les décombres immenses et dont les couches de briques agglomérées et couvertes de caractères d’écriture sont cimentées les unes à côté des autres comme sont rangés les livres sur les rayons dans les immenses salles de lecture de nos bibliothèques contemporaines qu’on se lasse de parcourir à la fin et dont le catalogue ne peut être tenu à jour à la longue, tellement il paraît de livres.

Extrait de Bourlinguer, chapitre XI Paris, Port-de-Mer
Blaise Cendrars


Publié par : incipit_fr
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