Bourlinguer

[Incipit]

FAISC QUE VOULDRAS !

RABELAIS

AMA ET FAC QUOD VIS !

SAINT-AUGUSTIN.

C’est une humeur melancolique, et une humeur par consequent tres-ennemie de ma complexion naturelle, produite par le chagrin de la solitude en laquelle il y a quelques années que je m’estoy jetté, qui m’a mis premièrement en teste cette resverie de me mesler d’écrire. Et puis, me trouvant entièrement desgarny et vuide de toute autre matiere, je me suis présenté moy-mesmes à moy pour argument et pour subject. C’est un dessin farouche et monstrueux. Il n’y a rien non plus en cette besoingne digne d’estre remarqué que cette bizarrerie : car a un subject si vain et si vil le meilleur ouvrier du monde n’eust sceu donner forme et façon qui mérite qu’on en fac conte.

Montaigne.

AMA  UT PULCHRA SIT!

GODDESCHALCK.

Je ne souffle mot. Je regarde par la fenêtre Venise. Venise. Reflets insolites dans l’eau de la lagune. Micassures et reflets glissants dans les vitrines et sur le parquet en mosaïque de la Bibliothèque Saint-Marc. Le soleil est comme une perle baroque dans la brume plombagine qui se lève derrière les façades des palais du front de l’eau et annonce du mauvais temps au large, crachin, pluies, vents et tempête. Je ne souffle mot. A la place du vaporetto qui passe devant la Dogana di Mari, appareille une tartane. C’est le II novembre 1653 …

Le II novembre 1653 une tartane appareillait de Venise à destination de Smyrne, et, malgré l’approche du mauvais temps dont les premiers effets se faisaient déjà violemment sentir au débouquer, matelots et marchands faisaient cercle autour de l’unique mât au pied duquel un passager clandestin était attaché torse nu et recevait une raclée. C’était un gamin de quatorze ans que les gardes-marine avaient découvert à fond de cale et amené au patron de la barque.

– Vingt coups de garcette, s’était écrié le capitaine,  et flanquez-Ie-moi par-dessus bord!

Le pauvre gosse se tortillait de la croupe, hurlait, invoquait la Sainte Vierge. Un Anglais qui voyageait incognito à bord et qui n’était personne d’autre que le vicomte Bellomont (Henry Bard), l’ambassadeur extraordinaire du roi Charles II auprès du shah de Perse et de l’empereur des Indes, à la cour desquels le roi d’Écosse en exil au Louvre l’adressait avec la mission secrète et absurde d’obtenir un emprunt et de faire alliance pour reconquérir son trône, un Anglais qui voyageait incognito à bord de la tartane s’avança et réclama le gamin comme étant de sa suite, son valet de chambre …

Blaise Cendrars


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