Le hussard sur le toit

Si es Catalina de Acosta que anda buscando la sua estatua.

Calderón

L’aube surprit Angelo béat et muet mais réveillé. La hauteur de la colline l’avait préservé du peu de rosée qui tombe dans ces pays en été. Il bouchonna son cheval avec une poignée de bruyère et roula son porte-manteau.

Les oiseaux s’éveillaient dans le vallon où il descendit. Il ne faisait pas frais même dans les profondeurs encore couvertes des ténèbres de la nuit. Le ciel était entièrement éclairé d’élancements de lumière grise. Enfin, le soleil rouge, tout écrasé dans de longues herbes de nuages sombres, émergea des forêts.

Malgré la chaleur déjà étouffante, Angelo avait très soif de quelque chose de chaud. Comme il débouchait dans la vallée intermédiaire qui séparait les collines où il avait passé la nuit d’un massif plus haut et plus sauvage, étendu à deux ou trois lieues devant lui et sur lequel les premiers rayons du soleil faisaient luire le bronze de hautes chênaies, il vit une petite métairie au bord de la route et, dans le pré, une femme en jupon rouge qui ramassait le linge qu’elle avait étendu au serein.

Il s’approcha. Elle avait les épaules et les bras nus hors d’un cache-corset de toile dans lequel elle étalait également de fort gros seins très hâlés: « Pardon, madame, dit-il, ne pourriez-vous pas me donner un peu de café, en payant?  » Elle ne répondit pas tout de suite et il comprit qu’il avait fait une phrase trop polie. « Le en payant aussi est maladroit », dit-il. « Je peux vous donner du café, dit-elle, venez.  » Elle était grande mais si compacte qu’elle tourna sur elle-même lentement comme un bateau. « La porte est là-bas », dit-elle en montrant le bout de la haie.

Il n’y avait dans la cuisine qu’un vieillard et beaucoup de mouches. Cependant, sur le poêle bas, enragé de feu, à côté d’une chaudronnée de son pour les cochons, la cafetière soufflait une si bonne odeur qu’Angelo trouva cette pièce toute noire de suie tout à fait charmante. Le son pour les cochons lui-même parlait un langage magnifique à son estomac peu satisfait de son souper de pain sec.

Il but un bol de café. La femme qui s’était plantée devant lui et dont il voyait fort bien les épaules charnues pleines de fossettes et même l’énorme fleur violette des seins lui demanda s’il était un monsieur de bureau. « Gare, se dit Angelo, elle regrette son café. » « Oh! non, dit-il (il évita soigneusement de dire madame); je suis un commerçant de Marseille; je vais dans la Drôme où j’ai des clients et j’en profite pour prendre l’air. » Le visage de la femme devint plus aimable, surtout quand il eut demandé la route de Banon. « Vous mangerez bien un œuf », dit-elle. Elle avait déjà poussé de côté la chaudronnée de son et mis la poêle au feu.

Il mangea un œuf et un morceau de lard avec quatre tranches d’un gros pain très blanc qui lui parurent légères comme des plumes. La femme s’agitait maintenant très maternellement autour de lui. Il fut surpris de très bien supporter son odeur de sueur et même la vue des grosses touffes de poils roux de ses aisselles qu’elle découvrit en levant les bras pour assurer son chignon.

Elle refusa d’être payée et même se mit à rire parce qu’il insistait, et elle repoussa le porte-monnaie sans façon. Angelo souffrit d’être très gauche et très ridicule: il aurait bien voulu pouvoir payer et avoir le droit de se retirer avec cet air sec et détaché qui était la défense habituelle de sa timidité. Il fit rapidement quelques amabilités, et mit le porte-monnaie dans sa poche.

La femme lui montra sa route qui, de l’autre côté de la vallée, montait dans les chênaies. Angelo marcha un bon moment en silence, dans la petite plaine à travers des prés très verts. Il était fortement impressionné par la nourriture qui avait laissé un goût très agréable dans sa bouche. Enfin, il soupira et mit son cheval au trot.

Le soleil était haut; il faisait très chaud mais il n’y avait pas de lumière violente. Elle était très blanche et tellement écrasée qu’elle semblait beurrer la terre avec un air épais. Depuis longtemps déjà Angelo montait à travers la forêt de chênes. Il suivait une petite route couverte d’une épaisse couche de poussière où chaque pas du cheval soulevait une fumée qui ne retombait pas. A travers le sous-bois râpeux et desséché il pouvait voir à chaque détour que les traces de son passage ne s’effaçaient pas dans les méandres de la route en dessous. Les arbres n’apportaient aucune fraîcheur. La petite feuille dure des chênes réfléchissait au contraire la chaleur et la lumière. L’ombre de la forêt éblouissait et étouffait.

Sur les talus brûlés jusqu’à l’os quelques chardons blancs cliquetaient au passage comme si la terre métallique frémissait à la ronde sous les sabots du cheval. Il n’y avait que ce petit bruit de vertèbre, très craquant malgré le bruit du pas assourdi par la poussière et un silence si total que la présence des grands arbres muets devenait presque irréelle.

Giono


Publié par : incipit_fr
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