« Une petite robe de fête »
« Je vous reconnaissais. Vous étiez celle qui dort tout au fond du printemps, sous les feuillages jamais éteints du rêve. Je vous devinais depuis longtemps déjà, dans la fraîcheur d’une promenade, dans le bon air des grands livres ou dans la faiblesse d’un silence. Vous étiez l’espérance de grandes choses. Vous étiez la beauté de chaque jour. Vous étiez la vie même, du froissé de vos robes au tremblé de vos rires.
Vous m’enleviez la sagesse qui est pire que la mort. Vous me donniez la fièvre qui est la vraie santé.
Et puis vous êtes partie. Ce n’était pas trahir. C’était suivre le même chemin en vous, simple dans ses détours. Vous emportiez avec vous la petite robe de neige. Elle ne dansait plus dans ma vie. Elle ne tournait plus dans mes rêves. Elle flottait sous mes paupières lorsque je les fermais pour m’endormir, juste là : entre l’œil et le monde. Le vent des heures l’agitait fiévreusement. L’orage des chagrins la rabattait sur le cœur, comme un volet sur une vitre fêlée. Qui n’a pas connu l’absence ne sait rien de l’amour.
Qui a connu l’absence a pris connaissance de son néant – de cette connaissance lointaine qui fait trembler les bêtes à l’approche de leur mort. »
Christian BOBIN (né en 1951).
Extrait de Une petite robe de fête