Le Crépuscule des pensées

Tous ces moments où la vie se tait, pour vous laisser entendre votre solitude… A Paris, comme dans un hameau lointain, le temps se retire, se recroqueville dans un coin de la conscience, et vous restez avec vous-même, vos ombres et vos lumières. L’âme s’est isolée, et dans des convulsions indéfinies, monte à la surface comme un cadavre repêché des profondeurs. C’est alors qu’on se rend compte qu’on peut perdre son âme autrement qu’au sens biblique.

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Lorsqu’on ne peut rassembler ses pensées, et qu’on se soumet, vaincu, à leur vif-argent – le monde se dissipe comme la brume et nous mêmes avec lui, de sorte qu’il nous semble écouter, au bord d’une mer qui se retire, la lecture de nos propres mémoires écrits dans une autre vie…Où court la pensée, vers quel néant dissout-elle ses frontières ? Les glaciers fondent-ils dans les veines ? Et dans quelle saison du sang et de l’esprit te trouves-tu ?

Es-tu encore toi-même ? Tes tempes ne palpitent-elles pas de la peur du contraire ? Tu es un autre, tu es un autre

… Les yeux perdus vers l’autre dans l’immaculée mélancolie des jardins.

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La solitude est une oeuvre de conversation à soi-même. Mais il arrive qu’en s’adressant uniquement à soi, tout ce qu’on a de meilleur devienne indépendant de l’identité ordinaire. Et ainsi l’on s’adresse à quelqu’un – à quelqu’un d’autre. D’où le sentiment de ne pas être seul chaque fois que l’on est plus seul que jamais.

 

Cioran – Le Crépuscule des pensées (extraits du Chapitre I et III)

 


Publié par : Margaux
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