La Philosophie dans le boudoir : Septième et dernier dialogue

[Extrait]

LE CHEVALIER: En vérité, Dolmancé, ce que vous nous faites faire est horrible; c’est outrager à la fois la nature, le ciel et les plus saintes lois de l’humanité.

DOLMANCÉ: Rien ne me divertit comme les solides élans de la vertu du chevalier. Où diable voit-il dans tout ce que nous faisons le moindre outrage à la nature, au ciel et à l’humanité? Mon ami, c’est de la nature que les roués tiennent les principes qu’ils mettent en action. Je t’ai déjà dit mille fois que la nature, qui, pour le parfait maintien des lois de son équilibre, a tantôt besoin de vices et tantôt besoin de vertus, nous inspire tour à tour le mouvement qui lui est nécessaire; nous ne faisons donc aucune espèce de mal en nous livrant à ces mouvements, de telle sorte que l’on puisse les supposer. A l’égard du ciel, mon cher chevalier, cesse donc, je te prie, d’en craindre les effets: un seul moteur agit dans l’univers, et ce moteur, c’est la nature. Les miracles, ou plutôt les effets physiques de cette mère du genre humain, différemment interprétés par les hommes, ont été déifiés par eux sous mille formes plus extraordinaires les unes que les autres; des fourbes ou des intrigants, abusant de la crédulité de leurs semblables, ont propagé leurs ridicules rêveries: et voilà ce que le chevalier appelle le ciel, voilà ce qu’il craint d’outrager!… Les lois de l’humanité, ajoute-t-il, sont violées par les fadaises que nous nous permettons! Retiens donc une fois pour toutes, homme simple et pusillanime, que ce que les sots appellent l’humanité n’est qu’une faiblesse née de la crainte et de l’égoïsme; que cette chimérique vertu, n’enchaînant que les hommes faibles, est inconnue de ceux dont le stoïcisme, le courage et la philosophie forment le caractère. Agis donc, chevalier, agis donc sans rien craindre; nous pulvériserions cette catin qu’il n’y aurait pas encore le soupçon d’un crime. Les crimes sont impossibles à l’homme. La nature, en lui inculquant l’irrésistible désir d’en commettre, sut prudemment éloigner d’eux les actions qui pouvaient déranger ses lois. Va, sois sûr, mon ami, que tout le reste est absolument permis et qu’elle n’a pas été absurde au point de nous donner le pouvoir de la troubler ou de la déranger dans sa marche. Aveugles instruments de ses inspirations, nous dictât-elle d’embraser l’univers, le seul crime serait d’y résister, et tous les scélérats de la terre ne sont que les agents de ses caprices… Allons, Eugénie, placez-vous… Mais, que vois-je !… elle pâlit !…

EUGÉNIE, s’étendant sur sa mère: Moi, pâlir!

Sacredieu! vous allez bien voir que non! (L’attitude s’exécute ; Mme de Mistival est toujours en syncope! Quand le chevalier a déchargé, le groupe se rompt.)

DOLMANCÉ: Quoi! la garce n’est pas encore revenue! Des verges! des verges !…  Augustin, va vite me cueillir une poignée d’épines dans le jardin. (En attendant, il la soufflette et lui donne des camouflets.) Oh! par ma foi, je crains qu’elle ne soit morte: rien ne réussit.

EUGÉNIE, avec humeur: Morte! morte! Quoi! il faudrait que je portasse le deuil cet été, moi qui ai fait faire de si jolies robes!

Mme DE SAINT-ANGE, éclatant de rire: Ah! le petit monstre !…

DOLMANCÉ, prenant les épines de la main d’Augustin, qui rentre: Nous allons voir l’effet de ce dernier remède. Eugénie, sucez mon vit pendant que je travaille à vous rendre une mère, et qu’Augustin me rende les coups que je vais porter. Je ne serais point fâché, chevalier, de te voir enculer ta sœur: tu te placeras de manière à ce que je puisse te baiser les fesses pendant l’opération.

LE CHEVALIER: Obéissons, puisqu’il n’est aucun moyen de persuader ce scélérat que tout ce qu’il nous fait faire est affreux. (Le tableau s’arrange ; à mesure que Mme de Mistival est fouettée, elle revient à la vie.)

DOLMANCÉ: Eh bien! voyez-vous l’effet de mon remède? Je vous avais bien dit qu’il était sûr.

Mme DE MISTIVAL, ouvrant les yeux: Oh! ciel! pourquoi me rappelle-t-on du sein des tombeaux? Pourquoi me rendre aux horreurs de la vie?

DOLMANCÉ, toujours flagellant: Eh! vraiment, ma petite mère, c’est que tout n’est pas dit. Ne faut-il pas que vous entendiez votre arrêt?… ne faut-il pas qu’il s’exécute ?… Allons, réunissons-nous autour de la victime, qu’elle se tienne à genoux au milieu du cercle et qu’elle écoute en tremblant ce qui va lui être annoncé. Commencez, madame de Saint-Ange. Les prononcés suivants se font pendant que les acteurs sont toujours en action.

Mme DE SAINT-ANGE: Je la condamne à être pendue.

LE CHEVALIER: Coupée, comme chez les Chinois, en vingt-quatre mille morceaux.

AUGUSTIN: Tenez, moi, je la tiens quitte pour être rompue vive.

EUGÉNIE: Ma belle petite maman sera lardée avec des mèches de soufre, auxquelles je me chargerai de mettre le feu en détail. (Ici l’attitude se rompt.)

DOLMANCÉ, de sang-froid : Eh bien, mes amis, en ma qualité de votre instituteur, moi j’adoucis l’arrêt; mais la différence qui va se trouver entre mon prononcé et le vôtre, c’est que vos sentences n’étaient que les effets d’une mystification mordante, au lieu que la mienne va s’exécuter. J’ai là-bas un valet muni d’un des plus beaux membres qui soient peut-être dans la nature, mais malheureusement distillant le virus et rongé d’une des plus terribles véroles qu’on ait encore vues dans le monde. Je vais le faire monter: il lancera son venin dans les deux conduits de la nature de cette chère et aimable dame, afin qu’aussi longtemps que dureront les impressions de cette cruelle maladie, la putain se souvienne de ne pas déranger sa fille quand elle se fera foutre. (Tout le monde applaudit; on fait monter le valet. Dolmancé au valet:) Lapierre, foutez cette femme-là; elle est extraordinairement saine; cette jouissance peut vous guérir: le remède n’est pas sans exemple.

LAPIERRE: Devant tout le monde, monsieur?

DOLMANCÉ : As-tu peur de nous montrer ton vit?

LAPIERRE: Non, ma foi! car il est fort beau…

Allons, madame, ayez la bonté de vous tenir, s’il vous plaît.

Mme DE MISTIVAL: Oh! juste ciel! quelle horrible condamnation!

EUGÉNIE: Cela vaut mieux que de mourir, maman; au moins, je porterai mes jolies robes cet été!

DOLMANCÉ: Amusons-nous pendant ce temps-là; mon avis serait de nous flageller tous: Mme de Saint-Ange étrillera Lapierre, pour qu’il enconne fermement Mme de Mistival; j’étrillerai Mme de Saint-Ange, Augustin m’étrillera, Eugénie étrillera Augustin et sera fouettée elle-même très vigoureusement par le chevalier. (Tout s’arrange. Quand Lapierre a foutu le con, son maître lui ordonne de foutre le cul, et il le fait. Dolmancé, quand tout est fini :) Bon! sors, Lapierre. Tiens, voilà dix louis. Oh! parbleu! voilà une inoculation comme Tronchin n’en fit de ses jours!

Mme DE SAINT-ANGE: Je crois qu’il est maintenant très essentiel que le venin qui circule dans les veines de madame ne puisse s’exhaler; en conséquence, il faut qu’Eugénie vous couse avec soin et le con et le cul, pour que l’humeur virulente, plus concentrée, moins sujette à s’évaporer, vous calcine les os plus promptement.

EUGÉNIE: L’excellente chose! Allons, allons, des aiguilles, du fil!… Écartez vos cuisses, maman, que je vous couse, afin que vous ne me donniez plus ni frères ni sœurs. (Mme de Saint-Ange dorme à Eugénie une grande aiguille, où tient un gros fil rouge ciré, Eugénie coud.)

Sade


Publié par : incipit_fr
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