Pour comprendre les médias

 

 

Les média sont des traducteurs

 

La tendance des enfants névrosés à perdre leurs traits névrotiques quand ils parlent au téléphone a déconcerté les psychiatres. Certains bègues cessent de bégayer quand ils parlent une langue étrangère. Ce qu’exprimait Lyman Bryson, par « la technologie est explicitation  », c’est que les technologies sont des moyens de traduire ou de transposer une sorte de connaissance sur un autre mode. La traduction est ainsi une sorte de « déchiffrement » ou d’explicitation des formes de connaissance. Ce que nous appelons « mécanisation  », c’est la traduction de la nature, et de nos propres natures, en des formes amplifiées et spécialisées. La raillerie de Joyce dans Finnegans Wake : « Ce que l’oiseau a fait hier, l’homme le fera peut-être demain  » est donc, à la lettre, une description des voies de la technologie. On a fait remarquer que le pouvoir de la technologie, qui élargit les champs d’action par l’action alternative de saisir et de lâcher prise, ressemble à celui des grands singes arboricoles plutôt que de ceux qui vivent au sol. Elias Canetti a fort justement associé cette capacité des grands singes à saisir et à lâcher prise, à la stratégie des spéculateurs boursiers. Tout ceci se trouve condensé dans une variante populaire d’un vers de Robert Browning : « Un homme doit pouvoir atteindre plus qu’il ne peut saisir, ou qu’est-ce qu’une métaphore. » Tous les média sont des métaphores actives, en ce qu’ils peuvent traduire l’expérience en des formes nouvelles. La parole a été la première technologie qui a permis à l’homme de lâcher son milieu pour le saisir d’une autre façon. Les mots sont une sorte de système de recouvrement de l’information capable d’explorer à grande vitesse la totalité du milieu et de l’expérience. Les mots sont des systèmes complexes de métaphores et de symboles qui expriment ou extériorisent sensoriellement l’expérience. Ils constituent une technologie de la clarté. La traduction de l’expérience sensorielle directe en symboles vocaux permet d’évoquer et de recouvrer le monde entier à n’importe quel moment.

 

En cet âge de l’électricité, nous nous voyons nous-mêmes traduits de plus en plus en information, à la veille de prolonger technologiquement la conscience. Voilà ce que nous voulons dire quand nous disons que nous en savons chaque jour davantage à propos de l’homme. Nous voulons dire que nous pouvons traduire une plus grande part de nous-mêmes en d’autres formes d’expression qui nous dépassent. L’homme est une forme d’expression dont on a de tout temps attendu qu’elle se répète et qu’elle réverbère comme un écho la louange de son Créateur. « Prier, disait George Herbert, c’est retourner le tonnerre. » L’homme a la capacité de réverbérer, par la traduction verbale, le tonnerre divin.

 

En mettant notre être physique, par les média électriques, à l’intérieur de nos systèmes nerveux prolongés, nous créons une dynamique dans laquelle toutes les technologies antérieures qui sont de simples prolongements des mains, des pieds, des dents et des régulateurs thermiques du corps — y compris les villes — seront traduits en systèmes d’information. La technologie électromagnétique exige de l’homme une docilité absolue et une quiétude méditative qui conviennent fort bien à un organisme qui a le cerveau en dehors du crâne et les nerfs à l’extérieur de la peau.

 

Marshall McLuhan

Extrait de  : Pour comprendre les médias

Traduction  : Jean Paré


Publié par : incipit_fr
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