La promesse de l’aube

[Extrait]

 

 

Lorsque je me décidai enfin – trois décennies plus tard – à donner libre cours à ma « vocation », le résultat fut désastreux. Je me ruais sur des toiles dans une sorte de danse frénétique, vidant directement sur le « tableau » les plus gros tubes que je pouvais me procurer; les pinceaux ne me donnant pas de contact assez direct, j’y allais avec les mains. Je travaillais aussi au « lancé ». Il y avait de la peinture partout. Personne ne pouvait entrer dans la pièce où je sévissais sans en prendre sur les vêtements et le visage: les murs, les meubles et le plafond recueillaient les bribes de mon génie. Car si mon inspiration était bien authentique, le résultat, lui, était d’une effrayante nullité. Je n’avais aucun talent pour la peinture. A chaque coup de pinceau, cet art suprême me renvoyait dédaigneusement à mes chers romans. Depuis, je comprends les graphomanes : j’ai appris à mes dépens qu’une vocation, une inspiration profonde et irrésistible, peuvent s’accompagner d’un manque total de don.

 

 

Romain Gary
Extrait de : La promesse de l’aube

 


Publié par : incipit_fr
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