Comment on meurt

 

[Extrait]

Brusquement, dans la nuit qui augmente, Charlot balbutie des paroles entrecoupées :
« Maman… maman… »
La mère s’approche, reçoit au visage un souffle fort. Et elle n’entend plus rien ; elle distingue vaguement l’enfant, la tête renversée, le cou raidi. Elle crie, affolée, suppliante :
«  De la lumière ! Vite, de la lumière !… Mon Charlot, parle-moi ! »
Il n’y a plus de chandelle. Dans sa hâte, elle frotte des allumettes, les casse entre ses doigts. Puis, de ses mains tremblantes, elle tâte le visage de l’enfant.
« Ah! Mon Dieu ! Il est mort !… Dis donc, Morisseau, il est mort ! »
Le père lève la tête, aveuglé par les ténèbres.
«  Eh bien ! Que veux-tu ? Il est mort… Ça vaut mieux. »
Aux sanglots de la mère, Mme Bonnet s’est décidée à paraître avec sa lampe. Alors, comme les deux femmes arrangent proprement Charlot, on frappe : ce sont les secours qui arrivent, dix francs, des bons de pain et de viande. Morisseau rit d’un air imbécile, en disant qu’ils manquent toujours le train, au bureau de bienfaisance.
Et quel pauvre cadavre d’enfant, maigre, léger comme une plume ! On aurait couché sur le matelas un moineau tué par la neige et ramassé dans la rue, qu’il ne ferait pas un tas plus petit.
Pourtant, Mme Bonnet, qui est redevenue très obligeante, explique que ça ne ressuscitera pas Charlot, de jeûner à côté de lui. Elle offre d’aller chercher du pain et de la viande, en ajoutant qu’elle rapportera aussi de la chandelle. Ils la laissent faire. Quand elle rentre, elle met la table, sert des saucisses toutes chaudes. Et les Morisseau, affamés, mangent gloutonnement près du mort, dont on aperçoit dans l’ombre la petite figure blanche. Le poêle ronfle, on est très bien. Par moments, les yeux de la mère se mouillent. De grosses larmes tombent sur son pain.
Comme Charlot aurait chaud ! Comme il mangerait volontiers de la saucisse !

Emile Zola

Extrait de : Comment on meurt

La Petite Collection des Éditions du Sonneur


Publié par : Capuche
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